Homélie du lundi 20 avril 2020 – Père Gilles Rousselet

21 Avr 2020 | Actualité, Homélies

2ème semaine du Temps Pascal année A – Ac 4, 32-37 ; Ps 92(93) ; Jn 3, 7b-15

Ce matin, en regardant les informations, comme je le fais au petit déjeuner (je les regarde une fois par jour, pas plus ; ça me permet à la fois d’être bien au courant sur une bonne chaîne d’information, et de ne pas être envahi toute la journée par les multiples informations qui nous viennent), en allumant la télé, c’était sur une chaîne de gymnastique : je me suis dit que c’était important de saisir l’occasion d’une gymnastique spirituelle, parce que sinon on finit par s’encroûter un peu, même si l’image n’est pas très belle. Je me rends bien compte, que depuis le début du confinement, je fais moins d’exercice, alors j’ai plus mal aux articulations. Alors on me dit “Signe de vieillesse…” ; mais c’est aussi et surtout parce qu’on a moins d’activités.

Pour l’âme, c’est un peu pareil. Je vous dit ça pas seulement pour faire une parenthèse de gymnastique spirituelle, mais aussi parce que c’est le risque qui apparaît dans la figure de Nicodème. Cet homme qui est vraiment intéressé par Jésus, attiré par lui, qui dialogue avec lui. Mais on sent bien qu’il y a quelque chose qui, petit à petit, a sclérosé son aptitude spirituelle, cette espèce de sixième sens : c’est ce que Jésus dit “L’Esprit Saint, tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va.” Et pour rester docile à l’Esprit Saint, pour vivre dans la vie d’enfants de Dieu qui est la vie dans l’Esprit, il faut se laisser porter. C’est un peu comme cette image que je trouve éloquente : un bouchon qui flotte sur l’eau et pour ne pas se laisser emporter, que des filins relient à chaque berge. Dès que l’eau est un peu agitée, il boit la tasse en permanence.

Il faut que nous soyons comme des ballons gonflés à l’hélium, ou plutôt à l’Esprit Saint et qui se laissent porter. Si on est tout le temps en train de savoir où est-ce qu’on va, avant d’y aller je vais poser des questions, parce que c’est bien ça que fait Nicodème en posant des questions “Comment cela va-t-il pouvoir se faire ?” Je me disais que c’était assez proche de ce que Marie avait demandé à l’Annonciation. En fait, ce n’est pas du tout la même question : Nicodème remet en question l’affirmation de Jésus. “Comment est-ce possible ?” ce n’est pas “Comment vais-je me laisser faire ?” mais plutôt qu’il faut que je comprenne avant de me laisser faire… Et à force de poser des questions comme ça, parce que j’ai besoin de comprendre, le pape Benoît XVI disait que Dieu ne peut pas nous demander de démissionner de notre raison, mais il y a un moment où, à force de poser des questions continuellement, ça met en avant le fait qu’on manque de confiance… On se dit “J’aurai plus de confiance quand je comprendrai”, mais ce n’est pas vrai. Ce n’est pas l’expérience qu’on fait dans les relations… On comprend mieux quand on fait confiance, c’est plutôt ça, à cause de la liberté de l’Esprit Saint.

Nicodème demande comment c’est possible  : je ne comprends pas, ça ne correspond pas à mes schémas. Jésus lui répond “Si vous ne croyez pas lorsque je vous parle des choses de la terre, comment croirez-vous quand je vous parlerai des choses du ciel ?” Jésus parle un langage que je peux comprendre, mais il faut lui faire confiance. Si je lui fais confiance, il va pouvoir me faire accéder à la vie spirituelle, à la vie en l’Esprit Saint. Mais comme il dit aux apôtres : “J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous n’avez pas la force de les porter. Mais je ne vous laisserai pas pas orphelins, je vous enverrai l’Esprit Saint.” C’est votre avantage que je m’en aille pour que vous puissiez recevoir l’Esprit Saint. L’Esprit Saint, c’est la liberté même de Dieu, la liberté de l’Amour qui vous révèlera la vérité tout entière. Mais il faut que je m’en aille, c’est à dire il faut que vous acceptiez de ne pas maîtriser les choses, et il faut que vous acceptiez de démissionner de votre volonté de tout comprendre et de tout maîtriser pour vivre vraiment dans la liberté de l’Esprit Saint. C’est un acte que nous avons à faire, un acte de confiance. Je pense que c’est le premier acte que nous avons à faire, peut être en nous levant le matin : “Seigneur, je ne vais peut être pas tout comprendre, je n’en ai peut-être pas la capacité.”

On entend souvent cette parole “Le Christ c’est compliqué”. Je me rappelle des jeunes qui étaient venus me voir quand j’étais curé à Paris. Ils m’avaient dit “On est chrétiens, mais on va devenir musulmans” Je leur propose de parler de ça et on a parlé un bon moment. Ils disaient pourquoi ils voulaient devenir musulmans : parce que le christianisme est compliqué alors que dans l’islam, on nous dit ce qu’on doit faire ; ce qu’on doit croire et ce qu’on doit faire. L’islam est une religion de la loi.

Mais le christianisme n’est pas une religion compliquée : c’est une religion de l’alliance. J’aime bien ce que disait un évêque émérite qui parlait de la fragile liberté des chrétiens. Cette fragile liberté des chrétiens c’est une des réalités que Dieu respecte le plus. Et nous avons à engager notre liberté en disant : “Seigneur, tu es vraiment digne de confiance. Parce que tout ce que tu as dit, tu l’as fait.”

Quand Jésus dit “De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert”, ce serpent a été élevé pour aider les hommes qui s’étaient révoltés contre Dieu. Et ceux qui regardaient ce serpent, après s’être révoltés contre Dieu, c’est à dire avoir été piqués de morsure mortelle, ceux qui regardaient le serpent étaient sauvés. Et Jésus nous dit : “ Vous ne pouvez pas passer autrement de la terre au ciel, pas seulement dans votre mort, mais dans votre vie intérieure, sans reconnaître que vous êtes pécheurs. Et sans passer par moi qui suis l’unique chemin pour aller vers le ciel. Vous ne pourrez pas comprendre les réalités du ciel, si vous passez seulement par votre capacité de comprendre.” Il faut démissionner de la certitude que nous avons de cette espèce d’orgueil que nous avons que nous pouvons tout comprendre.

Et c’est vrai de toutes relations. Si on pense qu’on peut tout comprendre de par nous-mêmes, les personnes avec qui nous vivons, nous nous trompons. Jésus disait à Sœur Faustine “Chaque personne est un continent”. Chaque personne est un mystère infini et je ne peux pas aborder cet univers comme un conquérant ! C’est dans la confiance : je veux bien te faire confiance. Et s’il y a une relation de confiance, il va y avoir une ouverture mutuelle au mystère que nous sommes chacun et c’est vrai particulièrement pour Dieu. Et si nous entrons dans cette relation de confiance avec Dieu, alors c’est certain que Dieu nous donnera accès à la vie dans l’Esprit Saint qui nous fait tout comprendre.

Évidemment par la médiation de la Vierge Marie qui n’a pas posé du tout la même question que Nicodème, mais qui a dit “Qu’il me soit fait selon ta Parole.” Elle pose l’acte de la certitude que cela va se faire, et elle demande “Comment, moi, je vais y contribuer ?” Et dans la réponse qu’elle reçoit, je ne suis pas sûr qu’elle a tout compris “Qu’il me soit fait selon ta parole.”

Il y a deux choses à vérifier : est-ce que je suis bien disponible pour que la volonté de Dieu en moi s’accomplisse ? Et la deuxième chose c’est : je me livre, agis en moi, Seigneur.

Quand je dis Amen, à chaque fois que je dis Amen, je dis ça : qu’il me soit fait. Alors que nos “Amen” soient vraiment aujourd’hui particulièrement, aujourd’hui et pourquoi pas demain, mais particulièrement aujourd’hui, soient consciemment une remise de notre liberté dans la main de Dieu, parce qu’il est vraiment digne de notre confiance.

Amen